Design UX

Qu’est-ce que l’illectronisme et pourquoi les commanditaires et designers de services numériques doivent s’en soucier ?

L’illectronisme c’est l’illettrisme numérique pour 17% de français soit 14 millions d’individus. Ce terme est donc à inclure dans l’accessibilité numérique. On pense à tort, que l’accessibilité ne concerne que des handicaps visibles, or ce sont eux bien sûr, mais aussi les personnes qui souffrent d’un manque d’accès à Internet, d’un manque de formation aux outils numériques… L’accessibilité concerne bien plus de monde qu’on ne le pense.

J’ai écouté le podcast de France Culture « L’illectronisme : ceux qui ne s’y font pas » et ce qui m’a donné envie de partager un article avec vous. J’ai lu, cherché, analysé, bref, j’y ai passé beaucoup plus de temps que prévu, mon côté perfectionniste et jusque boutiste^^

Les verbatims des intervenants de tous âges sont édifiants :

« J’ai l’impression d’être bête ! »

« Je veux bien avancer, mais laissez-moi le temps d’apprendre« 

« J’ai peur de faire une bêtise ! »

« C’est la panique« 

« Il y a toute ma vie sur Google, ça fait peur ! Faut que je trouve comment effacer ça. »

Les émotions sont palpables, détresse, solitude, panique… En tant que personne ultra sensible à la détresse des autres, je comprends leur désarroi et j’espère vraiment pouvoir un jour travailler de nouveau sur un projet ambitieux et public afin de pouvoir aller sur le terrain, remonter les difficultés des personnes et contribuer à la conception d’un service.

J’ai travaillé quelque mois à la conception d’un service de dématérialisation pour l’ADEME et j’ai vraiment adoré et beaucoup appris !

Définitions utiles pour continuer cet article

Illectronisme : L’ANLCI (Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme) considère que l’illectronisme caractérise « la situation d’un adulte ne maîtrisant pas suffisamment les usages des outils numériques usuels pour accéder aux informations, les traiter et agir en autonomie dans la vie courante ».

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Accessibilité numérique : L’accessibilité numérique consiste à rendre les services en ligne accessibles aux personnes en situation de handicap, pour cela il existe un référentiel général d’amélioration de l’accessibilité – RGAA Version 4.1« Le handicap est défini comme : toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant. »

Pour préciser : Les utilisateurs déficients visuels, les utilisateurs avec handicap moteur, les utilisateurs ayant des troubles dys, les utilisateurs présentant un handicap mental ou cognitif, les utilisateurs sourds ou malentendants, les seniors, l’utilisateur sans handicap particulier mais qui peut être en fracture numérique.

Fracture numérique : C’est la disparité d’accès aux technologies informatiques, notamment Internet.

Inclusion numérique : L’inclusion numérique (ou e-inclusion) est un processus qui vise à rendre le numérique accessible à chaque individu et à lui transmettre les compétences numériques qui seront un levier de son inclusion sociale et économique. (Source)

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Abandonniste : Il se définit par un comportement de blocage selon lequel on renonce à faire une action parce qu’il faut utiliser Internet. Ce comportement touche 25% des 50-64 ans mais aussi les moins de 35 ans avec 15%. (Source)

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Qui est concerné par l’illectronisme ?

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Les personnes âgées

Qui peuvent être limitées par leurs connaissances, leurs accès à Internet, leur matériel, la solitude et ne peuvent être aidées, le manque d’accès à l’information…

Les personnes en situation de précarité

Qui ne vont pas avoir accès aux ordinateurs, connexion Internet par soucis financiers. Qui ne sont pas accompagnés correctement.

Les personnes étrangères

Qui vont se heurter à la langue, à la connaissance des lois, et encore un manque d’accompagnement.

Les jeunes

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les jeunes, pourtant nés avec les téléphones, les consoles, peuvent être très doués avec certaines applications et jeux mais totalement perdus dès qu’on sort du cadre ludique, dès qu’on utilise un vocabulaire trop technique ou qui maîtrisent mal les codes de l’administration.

« Paradoxalement certains jeunes pourtant nés avec les nouvelles technologies et très à l’aise sur certaines applications se trouvent parfois désemparés dès lors que l’utilisation devient moins ludique »

Extrait du Livre blanc « contre l’illectronisme »

D’après le syndicat étudiant, « seuls 73 % des étudiants disposent d’un équipement informatique personnel et 40 % ne s’estiment pas en mesure de subir des épreuves à distance en un temps réduit ».

Quelles situations accélèrent l’illectronisme ?

Une part importante de la population française est exclue ou en difficulté avec les usages du numérique, par exemple :

La dématérialisation des services publics

L’Etat tend à obliger les démarches en lignes pour de nombreux services en fermant ses guichets tels que la déclaration des impôts, la vente d’une voiture, les prestations sociales… Toutefois il est important de retenir que les services publics ont l’obligation de laisser les publics à faire leurs démarches d’une autre manière.

Le Défenseur des Droits dans le rapport sur la Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics de 2019 mentionne vis à vis de la dématérialisation qu’« elle est aussi un obstacle supplémentaire pour nombre de personnes surtout quand elle est mise en place « à marche forcée », sans tenir compte des réalités et des possibilités de chacune et chacun des usagers et qu’elle s’accompagne de difficultés techniques importantes et persistantes. » 

L’exemple le plus commun est la dématérialisation des Services Publics. Le gouvernement avec la DINUM met en place un programme Commando UX dédié à aider les services publics dans la conception de leurs services numériques se devant être accessibles, inclusifs et humains d’ici 2022.

La Constitution garantit l’accès aux Services Publics, toutefois quand toutes les démarches tendent à être dématérialisées et que des problèmes techniques bloquent l’accès à la procédure il s’agit d’une rupture de la continuité du Service Public.

L’article L.112-8 du code des relations entre les usagers et l’administration qui dispose que « Toute personne, dès lors qu’elle s’est identifiée préalablement auprès d’une administration, peut, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’Etat, adresser à celle ci, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie. Cette administration est régulièrement saisie et traite la demande, la déclaration, le document ou l’information sans lui demander la confirmation ou la répétition de son envoi sous une autre forme »

La CNIL, lors de sa délibération n° 2016-111 du 21 avril 2016 à propos de ce décret a souligné le « caractère facultatif » de ces saisines par voie électronique et la nécessité que cette faculté soit « clairement indiquée aux internautes, dès la page d’accueil du dispositif de même que les modalités pratiques permettant d’effectuer une démarche analogue sans recourir cette saisine »

Des actions mises en place telles que Maison du Service Public tendent à éviter les problèmes d’accessibilité aux services publics en mettant en place des espaces où des agents peuvent aider les usagers à faire leurs démarches qui apparement restent très sommaires et souvent dépourvues d’accompagnants qui devraient faciliter les échanges. On y trouve très souvent que des ordinateurs et imprimantes sans aide.

Le site Solidarité Numérique est un service qui permet de se faire aider dans ses démarches administratives.

La dématérialisation est bien entendu un point positif mais elle doit être simplifiée, aidée et continue.

La situation sanitaire

La situation sanitaire actuelle incitant à faire de plus en plus de démarches dématérialisées contribue à accentuer les difficultés avec les services numériques (décrochage scolaire, arrêt maladie, consultation en ligne de médecins, chômage partiel…).

Quelles sont les difficultés rencontrées ?

L’accès aux droits

Certaines personnes se trouvent privées de leurs droits parce qu’elles n’arrivent pas à faire les démarches en lignes, transmettre les documents…

Par exemple en point positif : Le coffre fort numérique permet aux personnes en grande précarité de stocker leurs documents importants (vols, perte…) et ainsi faciliter l’accès aux démarches numériques.

L’équipement numérique

24% des Français n’ont pas d’ordinateur à domicile et 23% d’entre eux n’ont pas de smartphone. (Baromètre numérique ARCEP/CREDOC 2019)

C’est aussi s’équiper en imprimante et cartouches, parce qui oui on dématérialise, mais on nous demande encore de renvoyer des papiers signés… En caméra, enceintes, câbles, comprendre le wifi, réussir à se connecter, lancer les bonnes configurations…

Mon exemple récent, c’est lors du premier confinement. Ici nous avions deux ordinateurs à la maison mais nous travaillions à distance. Sans 3ème ordinateur, nous avons dû nous arranger pour laisser un ordinateur à notre fils pour suivre ses cours, mais au détriment de notre travail. Et nous ne sommes pourtant pas dans les profils des statistiques de l’illectronisme.

« Le wifi c’est quoi ? » disait une dame lors de l’émission de France Culture.

L’accès à Internet

Dans une étude datée du mois de septembre 20170,7% des Français n’ont pas accès à une offre internet fixe. C’est en réalité près de 500 000 personnes qui n’accèdent pas à Internet de chez eux. Plus de 500 communes en zone blanche.

Simple exemple personnel, je suis à 20 kilomètres de Nantes et mon réseau est régulièrement instable, entre le débit qui ne suit pas et les opérateurs qui refusent de fournir une Box 4G, on se heurte à des bloquages quotidiens et usants.

Zones blanches : Une zone blanche est une zone dépourvue de réseaux de téléphonie mobile, il est impossible d’émettre ou de recevoir des appels, ou encore de partager des données ou de se connecter à internet, quelque soit son opérateur mobile.

Zones grises : Une zone grise est une zone qui est couverte par au moins un opérateur mobile.

En 2019, on est encore loin du compte que le mentionne UFC Que Choisir.

Les problèmes liés aux paiements en ligne

Paiement par virement bancaire, prélèvement bancaire ou paiement en ligne nécessitent un compte bancaire. En oubliant que 500 000 personnes n’ont pas de compte bancaire, on met ces usagers dans des situations bloquantes.

De ce fait, sachez que l’obligation d’avoir un compte bancaire pour le versement des prestations venant d’organismes sociaux est illégale. (Décision de la cour de cassation du 21 juin 2018)

L’existence d’une autre modalité de paiement que celles liées à la possession d’un compte bancaire devrait être proposée.

Des sites Internet mal conçus

On rencontre encore de nombreux dysfonctionnements techniques dans les sites qu’on utilise plus ou moins régulièrement : le flux des demandes qui bloque ou ralentit les accès, l’absence de mécanisme efficace de correction et prévention des erreurs techniques et fonctionnelles, les pannes informatiques…

Il existe encore trop de sites Internet qui ne respectent pas les règles d’ergonomie et d’accessibilité.

La direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’État (DINSIC) a mis en place 10 principes d’une démarche en ligne exemplaire que vous pouvez retrouver ici que le Service Public devrait respecter dans la conception de ses services numériques.

Pour ne citer que les titres : Une démarche en ligne exemplaire

… est facile à trouver, simple et fluide

… utilise un langage clair et précis

… est officielle et ça se voit

… accompagne l’usager

… respecte les règles de l’art

… ne demande pas d’informations déjà connues de l’administration

… fait œuvre de transparence

… a un pilote à bord, qui connaît les besoins des usagers

… permet un traitement et un suivi 100% numériques

… s’améliore en continu

Certains critères rejoignent les heuristiques de Nielsen ou Bastien et Scapin, que les ergonomes et designers connaissent bien.

Comment optimiser ses services en ligne

L’ergonomie de l’interaction homme-système

C’est un document qui spécifie des exigences et des recommandations relatives aux principes et aux activités de conception centrée sur l’opérateur humain dans le contexte d’IHM. (interfaces homme-machine) : Conception centrée sur l’opérateur humain pour les systèmes interactifs : ISO 9241-210:2019.

Quelques exemples de sujets abordés de ce qu’on trouve dans les normes d’ergonomie :

Partie 112 : Principes pour la présentation des informationsPartie 125: Conseils sur la présentation visuelle des informations

Partie 161 : Conseils sur les éléments d’interface utilisateur visuelle

Partie 171 : Conseils sur l’accessibilité des logiciels

Pour en lire plus ici et .

Le référentiel général d’amélioration de l’accessibilité – RGAA Version 4.1

Edité par la DINU, il permet de faciliter la mise en œuvre de l’accessibilité numérique. (Mentionné plus haut).

Par des recommandations

Dans le rapport de Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics, le Défenseur des droits recommande :

• L’instauration, pour chaque démarche administrative dématérialisée, d’une procédure permettant à l’usager de signaler une difficulté à effectuer la démarche et ce par tous moyens utiles.

• La délivrance d’un accusé de connexion nominatif et daté à chaque connexion d’un usager à un service en ligne, cet accusé devant ensuite, en cas d’échec de la démarche, pouvoir être produit à titre de preuve dans le cadre d’un recours administratif ou contentieux.

• La création d’une clause de protection des usagers en cas de problème technique leur permettant de ne pas être considérés comme responsables du non-aboutissement de la démarche.

Source

Les tests utilisateurs

la DINSICE appuie l’importance d’avoir des tests utilisateurs représentatifs de l’ensemble des profils d’internautes qui puissent exister en amont de la dématérialisation d’une démarche.

Des enquêtes de satisfaction doivent également être faites régulièrement auprès du public. Ces tests doivent également se poursuivre après la mise en ligne afin d’améliorer le service.

C’est exactement ce que nous proposons en tant que Designer UX. Ces démarches valorisées par le Service Public sont toutes aussi bonnes pour les entreprises privées.

Comment gérer cela dans vos outils ?

  • Mieux organiser le contenu de vos sites et pages : Trouver une information rapidement, ne pas se perdre dans une surcharge visuelle, structurer vos menus.
  • Penser son site simplement et selon les usages courants : Vouloir faire trop orignal risque de perdre votre internaute. Chaque site dispose de ses fonctionnalités, de ses interactions, cela demande à chacun de comprendre son fonctionnement avant de pouvoir s’en servir. Si on utilise un site ou une app souvent, alors on se remémore et on retient par habitude. Au contraire, si on utilise un site une seule fois ou même très ponctuellement, on oublie comment on a déjà accompli nos précédentes tâches.
  • Rassurer les internautes sur le sérieux de votre entreprise : Face à la multitude de sites peu honnêtes il est facile de se faire avoir si on est pas habitués des sites e-commerces.
  • Utiliser le bon vocabulaire : L’utilisation des mauvais mots / termes risque de nous embrouiller : trop techniques, mal choisis… Guidez vos utilisateurs et prévenez des erreurs. Si vous savez que telle ou telle action peut générer un blocage, alors anticipez ! Par exemple lors de la création de mots de passe.
  • Accompagner, guider, pouvoir contacter : Bloqué dans une action ? Pas d’aide, pas de guide. On aimerait contacter quelqu’un mais impossible de trouver un mail, un numéro de téléphone. C’est beaucoup plus souvent qu’on ne le pense et cela n’incite pas à rester sur le site.
  • Des sites trop lourds, trop lents : Connaissant les problèmes d’accès à Internet de certains internautes, le temps de chargement des sites doit être optimisé.
  • Accessibilité : Couleurs, tailles, description des images… il est finalement assez simple d’inclure une majorité d’utilisateurs en prenant connaissance de quelques bases d’accessibilité.
  • Adaptez vos sites aux smartphone : Cela peut paraître bizarre de dire ça, mais on croise souvent des sites qui n’ont pas été optimisés pour des affichage sur mobiles.

Il est capital de prendre ses responsabilités vis à vis des services et outils que l’on propose afin que tout le monde puisse accéder aux services nécessaires à l’accomplissement de leur tâches.

Pour en lire plus (au cas où il n’y en avait pas assez 😅)

L’illectronisme en France

La Rapport sur la dématérialisation et inégalités d’accès aux Services Publics

Inclusion numérique du Ministère

Lire l’article : La fracture numérique n’épargne pas les jeunes

Retrouvez ici l’enquête sur les accès aux droits.

Voici une étude plus récente ici sur les débits des fournisseurs d’accès.