Cartographie
Design UX, Entrepreneuriat

Cartographier pour comprendre

Disclaimer : Je ne suis pas scientifique, mais curieuse du sujet, que j’aborde ici de manière très simple, si certaines choses ne sont pas tout à fait correctes malgré mon attention, n’hésitez pas à m’écrire.

De la carte du monde à la cartographie des systèmes et de la décision

Cartographier n’est pas décorer le réel, c’est le rendre lisible.

Cartographier est l’un des gestes les plus anciens et les plus constants de l’humanité face à la complexité.

Dès qu’un système devient trop vaste, trop abstrait ou trop complexe pour être compris mentalement, il est représenté ; territoires, villes, réseaux de transport, bâtiments, montagnes.
La cartographie est partout, et acceptée comme évidence.

Et pourtant, lorsqu’il s’agit de stratégie d’entreprise, d’organisation, ou de prise de décision, cette évidence disparaît. On attend des résultats, des mesures, des arbitrages… sans jamais fournir de carte.
On ne pilote pas un système complexe sans représentation. C’est valable pour une montagne. Ça l’est tout autant pour une organisation.

La cartographie a toujours privilégié la compréhension à l’exactitude

Historiquement, aucune carte n’a jamais été une copie fidèle de la réalité. La Tabula Peutingeriana (Empire romain) déforme totalement l’espace mais rend lisible un réseau.
Le plan du métro de Londres (Harry Beck, 1933) sacrifie la géographie à la compréhension.

Dans tous les cas, le principe est le même :

  • la carte simplifie
  • elle hiérarchise
  • elle déforme volontairement ce qui empêche la compréhension

Le graphisme est au service du message. Toujours.

Donner à comprendre la montagne : les plans des stations de ski

La cartographie des pistes de ski est un excellent exemple de cartographie fonctionnelle toujours utilisée en 2025.

Dans toutes les stations, on trouve :

  • des plans dessinés sur panneaux
  • des cartes papier
  • des versions numériques
  • des applications mobiles

Personne ne demande une modélisation exacte du relief pour choisir une piste. Pourquoi ? Parce que ce serait contre-productif. Les skieurs ne sont pas là pour aller vérifier le plan de la piste au mètre près.

Heinrich Berann, pionnier de la cartographie de montagne

Le cartographe autrichien Heinrich C. Berann (1915-1999) est reconnu comme le pionnier des cartes panoramiques de stations de ski modernes, utilisées mondialement depuis les années 1950. Il partait de données topographiques réelles, puis déformait consciemment le relief, choisissait des points de vue impossibles en réalité et accentuait pentes, vallées et sommets.

L’objectif : Permettre à un skieur de comprendre le système montagne d’un seul regard.

Ces cartes fonctionnent encore en 2025 pour trois raisons simples : Elles réduisent la charge cognitive, elles facilitent la projection et elles permettent de décider rapidement.

La cartographie dans la police : comprendre, anticiper, décider

La cartographie est un outil central dans les forces de police depuis plusieurs décennies, en particulier pour l’analyse criminelle et la prise de décision opérationnelle.

Cartographier pour comprendre la criminalité

Dès le début du XXᵉ siècle, la police utilise des cartes pour : localiser les faits, repérer des concentrations spatiales, identifier des récurrences temporelles et géographiques.

Ces pratiques ont été formalisées avec ce qu’on appelle aujourd’hui le crime mapping : la représentation spatiale des infractions afin de comprendre des phénomènes qui seraient invisibles dans des tableaux de chiffres.

Référence : Eck, J. E., Chainey, S., Cameron, J., Leitner, M., & Wilson, R. (2005).
Mapping Crime: Understanding Hot Spots. National Institute of Justice (NIJ), États-Unis. https://nij.ojp.gov/

Cartographier pour décider : l’exemple des « hot spots »

La cartographie policière permet notamment d’identifier des zones de concentration (hot spots) :

  • lieux où les infractions sont statistiquement plus fréquentes
  • croisements entre types d’infractions, horaires et territoires
  • zones prioritaires d’intervention ou de prévention

Sans cartographie, ces dynamiques restent noyées dans la masse des données. Les études montrent que des décisions fondées sur ces cartes peuvent améliorer l’allocation des ressources et réduire certains types de délits localisés (sans pour autant résoudre les causes structurelles, ce que la recherche souligne clairement)

Source scientifique : Sherman, L. W., Gartin, P. R., & Buerger, M. E. (1989). Hot spots of predatory crime. Criminology, 27.

Ce que la science cognitive confirme : le cerveau pense déjà en cartes

La puissance des cartes n’est pas culturelle, elle est cognitive.

Le cerveau construit des cartes cognitives

Les travaux d’Edward C. Tolman (1948) montrent que le cerveau crée des représentations internes simplifiées pour se repérer et agir. Une carte efficace suit cette logique mentale.

Les connaissances sont organisées en réseaux

Les recherches de Collins & Quillian (1969) démontrent que la mémoire fonctionne par : catégories, hiérarchies, relations. Une cartographie bien conçue externalise ces réseaux internes.

Réduction de la charge cognitive

Les travaux de George A. Miller (1956) montrent que nous comprenons mieux quand l’information est structurée, regroupée et visualisée. La cartographie est donc un outil cognitif, pas un artifice visuel.

Cartographier l’information : architecture avant graphisme

Quand on conçoit un site e-commerce, une application ou un service, on commence rarement par le graphisme. On commence par structurer le plan du site, ce qu’on va y mettre et comment on va le mettre. On définit l’architecture de l’information, la catégorisation hiérarchique, la cartographie sémantique. Là encore, le graphisme arrive après, en soutient du message.

La cartographie en médecine : décider sans carte serait impensable !

La médecine est un domaine où la cartographie est centrale, et jamais remise en question. On cartographie : le génome humain (Human Genome Project), les réseaux neuronaux (connectome), les parcours patients, les flux hospitaliers…

Personne ne demanderait, un diagnostic, une décision thérapeutique, une réorganisation hospitalière… sans représentation claire du système. La cartographie est un préalable à la décision.

Cartographier les systèmes en design : rendre l’organisation lisible

En design stratégique, la cartographie permet de :

  • visualiser l’existant
  • comprendre les interactions
  • révéler les dépendances
  • identifier les points de rupture
  • poser des bases de décision partagées (définir des KPI’s, tant adorés par tous les décideurs, lire mon article sur la mesure.)

Ce qu’on cartographie concrètement dans une organisation

L’écart entre ce qu’on croit faire et ce qui se passe réellement

Exemple : le parcours client vs le parcours interne
Votre site annonce « livraison sous 48h ». Cartographions le trajet réel d’une commande :

  • combien de systèmes traversés ?
  • combien de validations humaines ?
  • où sont les ruptures de données ?
  • quels services n’ont pas accès aux bonnes informations ?

On découvrira que le service client ne voit pas le statut logistique, que deux équipes saisissent les mêmes données dans deux outils différents, et que le délai réel dépend d’une validation manuelle que personne n’avait identifiée comme critique.

Sans carte, c’est invisible. Avec carte, c’est actionnable.

Les flux de décision et les tensions structurelles du système

Exemple : pourquoi vos projets stratégiques n’avancent pas ?
Cartographions qui décide quoi dans un projet type :

  • qui valide le budget ?
  • qui valide le contenu ?
  • qui valide la tech ?
  • qui arbitre en cas de désaccord ?

On découvre souvent que trois personnes doivent valider la même chose, que deux équipes attendent la même ressource, ou qu’une seule personne est le point de passage obligé de quinze décisions différentes. Votre organisation n’est pas lente par manque de compétence. Elle est lente par manque de visibilité sur ses propres rouages.

Les dépendances entre projets et initiatives

Exemple : pourquoi votre roadmap produit est irréaliste
On a validé douze chantiers prioritaires pour l’année. Cartographions leurs dépendances réelles :

  • quels projets partagent les mêmes équipes ?
  • quels chantiers bloquent l’avancement d’autres ?
  • quelles initiatives nécessitent les mêmes ressources techniques ou budgétaires ?

On réalise que nos « 12 priorités » en génèrent en réalité 47 sous-projets interdépendants, et que trois d’entre eux mobilisent 80% des capacités.

Un tableau Excel ne montre pas ça. Une cartographie, si.

Pourquoi les dashboards ne suffisent pas

On a souvent déjà, des KPI dans un tableau de bord, un organigramme, des process documentés… mais ces outils répondent à une question à la fois et ne montrent pas le système.

Un dashboard dit combien.
Un organigramme dit qui.
Un process dit comment.

Une cartographie montre pourquoi ça coince. Elle révèle ce que les outils de mesure ne peuvent pas voir : les interactions, les boucles, les effets de bord, les dépendances cachées.

Le malentendu à corriger absolument

La cartographie n’est pas un livrable graphique. Le graphisme est essentiel, mais, il arrive en dernier, il sert la lisibilité, il ne compense jamais un manque de structure.

Une carte imparfaite graphiquement, mais juste structurellement est un levier puissant.

Les cartographies en Design UX éprouvées depuis 20 ans

les petites jeunes 😏

Le Design UX dispose de tout un répertoire de cartographies qui sont aujourd’hui des standards dans la conception de produits et services numériques. Utilisées à bin escient, se sont des instruments de décision utilisés quotidiennement dans des structures publiques (hôpitaux, France Travail, gouvernement et administrations en quête de réponses plus justes pour leurs utilisateurs)

User Journey Map : cartographier l’expérience vécue

User Journey Map Cherry Fizz

Grâce à la User Journey Map, on représente le parcours d’un utilisateur à travers toutes ses interactions avec un produit ou un service, étape par étape. Elle révèle :

  • Les moments de friction et de satisfaction
  • Les émotions ressenties à chaque étape
  • Les points de contact (canaux, interfaces, humains)
  • Les attentes vs la réalité vécue

Service Blueprint : cartographier ce qui se passe en coulisses

Le Service Blueprint est une extension de la journey map qui montre non seulement ce que vit l’utilisateur, mais aussi tout ce qui se passe en arrière-plan pour rendre cette expérience possible. Il révèle :

  • Les interactions visibles vs invisibles pour l’utilisateur
  • Les systèmes techniques mobilisés
  • Les équipes impliquées
  • Les processus internes nécessaires à chaque étape

Experience Map : cartographier un écosystème au-delà d’un produit

L’experience Map est une vision plus large qui ne se limite pas au produit, mais cartographie toute l’expérience d’un utilisateur dans un contexte donné, y compris ce qui se passe avant et après l’interaction avec la marque / l’entreprise / la tâche… Elle révèle :

  • Le contexte dans lequel votre produit s’insère
  • Les alternatives et concurrents dans le parcours réel
  • Les besoins non satisfaits
  • Les opportunités d’innovation

Customer Journey Map : cartographier la relation client dans le temps

La Customer Journey Map est une vue sur l’ensemble du cycle de vie client, de la découverte à la fidélisation, en passant par l’achat et l’usage. Elle révèle :

  • Les moments clefs de décision
  • Les points de rupture dans la relation
  • Les opportunités de valeur à chaque phase
  • Pourquoi les clients partent (ou restent)

System Map : cartographier les acteurs et leurs relations

La System Map est une représentation de tous les acteurs d’un écosystème (utilisateurs, organisations, partenaires, régulateurs) et de leurs interactions. Elle révèle :

  • Qui influence qui
  • Les flux d’information, d’argent, de valeur
  • Les dépendances entre acteurs
  • Les tensions ou opportunités systémiques

Pourquoi ces cartographies fonctionnent

Chaque type de carte répond à une question stratégique :

  • User Journey Map → Où perdons-nous nos utilisateurs ?
  • Service Blueprint → Pourquoi notre promesse n’est pas tenue ?
  • Experience Map → Quelle est l’opportunité réelle ?
  • Customer Journey Map → Pourquoi nos clients partent ?
  • System Map → Qui doit être embarqué pour que ça fonctionne ?

Ces cartographies sont devenues indispensables dans le design de produits et services. Il est temps qu’elles le deviennent aussi pour piloter les organisations elles-mêmes.

Pourquoi c’est un travail de designers ?

1. La double compétence
Là où l’analyse peine parfois à devenir lisible, et où la forme peut exister sans compréhension du système, le designer relie les deux pour rendre la complexité intelligible et exploitable.

2. La méthode d’investigation
Le designer interroge avant de dessiner, structure la question avant de formuler la réponse, et transforme une analyse complète en compréhension directement actionnable.

3. L’expertise en réduction cognitive
Le designer mobilise son expertise en architecture de l’information et en design de services pour simplifier des systèmes complexes sans jamais les appauvrir, c’est le cœur du métier.

4. Le rôle de traducteur
Le designer occupe une position d’interface entre les métiers : sans camp à défendre ni périmètre à préserver, il est en capacité de faire dialoguer et de synthétiser des logiques multiples.

5. Ce que personne d’autre n’apporte
Sans une démarche de design, l’organisation peine à transformer ses analyses en représentations claires et réellement actionnables.

Voilà cinq exemples concrets et que tout dirigeant reconnaîtra immédiatement :

  1. Le rapport PowerPoint illisible – 120 slides que personne ne lit
  2. L’infographie décorative – jolie mais inutile pour débloquer un projet
  3. Le schéma de la DSI – qui ne montre que son propre périmètre
  4. L’organigramme mensonger – qui cache les vrais flux de décision
  5. Le dashboard aveugle – qui mesure sans expliquer

Conclusion : On ne pilote pas sans carte

L’histoire, la science cognitive, la médecine, la montagne et le design racontent tous la même chose : Dès qu’un système devient complexe, on le cartographie. Les organisations n’échappent pas à cette règle. Elles ont simplement pris du retard.

Besoin d’aide pour cartographier votre organisation ?

J’accompagne les entreprises dans ce travail de cartographie stratégique.
Mon approche :

  • Investigation terrain pour comprendre le système réel (pas le système théorique)
  • Cartographie des flux, dépendances et points de friction
  • Représentations lisibles et actionnables pour la décision
  • Pas de rapport de 100 pages. Une carte que vous utiliserez vraiment.

Je travaille avec des directions générales, des équipes produit et des organisations en transformation qui ont besoin de voir enfin leur système pour le piloter en répartissant les bonnes ressources aux bons endroits. Mes accompagnements -> ici

Le prochain sujet portera sur la donnée : ce qu’elle est, la manière dont elle est produite et utilisée, les lieux où elle se trouve, ainsi que son rôle et son importance au sein des organisations. Vous allez voir que c’est un sacré sujet côté design, stratégie et expérience utilisateur.